Mes recherches se situent dans le champ des neurosciences sociales. Elles mettent en œuvre des approches méthodologiques distinctes et complémentaires : mesures psychophysiques comportementales (Temps de réaction, eyetracking), acquisition de données d’Imagerie par Résonance Magnétique structurale, fonctionnelle (IRMf), de diffusion (DWI), de données électro-encéphalographiques (EEG). Une importante dimension de mes recherches est leur aspect clinique, avec l’objectif de mener les études à la fois chez une population de sujets neurotypiques et chez une population de sujets adultes autistes de haut niveau ou atteints du syndrome d’Asperger (Troubles du spectre autistique, TSA), dont le comportement se caractérise par une altération qualitative sévère des interactions sociales et de la communication. Les données de neuroimagerie sont utilisées à des fins de modélisation de la connectivité au sein des réseaux cérébraux. Dans ce cadre, les méthodes mises en œuvre sont très novatrices en ce qu’elles représentent une approche privilégiée pour mettre en évidence l’existence de réseaux fonctionnels anormaux et répondre aux questions liées à l’intégration fonctionnelle. Ces questions sont d’une importance considérable pour l’étude des psychoses d’origine développementale telles que l’autisme, dont on fait depuis longtemps l’hypothèse qu’elles sont dues à un déficit fondamental d’intégration. L’utilisation de paradigmes d’activations cognitifs originaux -préalablement validés par des études comportementales-, à la fois chez une population témoin et une population de sujets autistes, me permet de tester la possibilité que ces derniers, même s’ils peuvent réaliser une tâche impliquant le traitement d’informations socio-émotionnelles, engagent des réseaux cérébraux dont la dynamique d’activation est distincte de celle des sujets neurotypiques.
Le traitement des informations émotionnelles est l’une des facettes de l’intelligence sociale qui permet de mettre en œuvre des processus cognitifs sophistiqués tel que la capacité à percevoir, comprendre et utiliser ses propres émotions ou celle exprimées par autrui afin de guider nos pensées et nos actions. De manière générale, le traitement des informations émotionnelles améliore la qualité des interactions sociales d’un individu. Mais cette capacité a un coût et exige des efforts importants. Le cerveau doit en effet détecter et analyser rapidement des informations multi-sensorielles complexes issues de l’environnement.
Un modèle récent propose que dans des circonstances aussi complexes que les interactions sociales, le cerveau construit des prédictions sur la base d’analogies (Bar, 2004). Ce concept de « cerveau proactif » a été principalement étudié dans le domaine de la reconnaissance de stimuli visuels (Bar, 2004, 2007, 2009). Les résultats ont permis de montrer que la perception visuelle de bas niveau dans les aires occipito-temporales n’est pas le résultat de traitements purement bottom-up, mais aussi guidé par des informations top-down provenant d’aires cérébrales de plus haut niveau. Cependant, étant donné l’omniprésence des prédictions, il est plus que probable que leur influence s’étend à des processus plus complexes que la ‘simple’ reconnaissance d’objet. Cela inclut en particulier les prédictions émotionnelles, et leurs interactions avec l’allocation attentionnelle.
Cette approche théorique fondamentale pourrait avoir d’importantes implications lorsqu’elle est appliquée à la pathologie. Il est de plus en plus reconnu que les troubles neurodéveloppementaux, du fait de leur héritabilité et de leur origine neurobiologique, offrent une opportunité unique d’identifier les mécanismes cognitifs et cérébraux responsables de trajectoires altérées du développement du comportement émotionnel. Les troubles du spectre autistique (ASD) sont caractérisés par des déficits sociaux, une communication verbale et non-verbale altérée associée à des comportements stéréotypés et des activités restreintes et répétitives, ainsi qu’une importante résistance à des changements dans leur environnement (APA, 2000). La grande majorité des chercheurs s’accorde maintenant sur une origine biologique de ce syndrome neurodéveloppemental et bien que la cause en soit encore inconnue, il est probable que des facteurs génétiques et environnementaux soient responsables ou prédisposent au développement de la pathologie autistique. Les troubles du spectre autistique apparaissent ainsi comme un modèle pertinent pour l’étude des régulations émotionnelles top-down, et les interactions émotion-cognition.
L’objectif général de mes travaux de recherche est d’apporter des preuves expérimentales à la notion théorique sous-jacente au modèle de ‘cerveau émotionnel proactif’. Nous proposons une série d’études intégratives dans les domaines de la psychologie, des neurosciences et de la psychopathologie, pour explorer les bases comportementales et cérébrales de la prédiction émotionnelle, c'est-à-dire l’influence de structures corticales de haut niveau impliquées dans le traitement de l’information émotionnelle sur les processus perceptifs codés au niveau des cortex primaires et associatifs. De manière complémentaire à cette recherche fondamentale, nous étudions la possibilité d’appliquer ce modèle théorique à la pathologie autistique, caractérisée par des déficits majeurs dans la capacité à anticiper et répondre de façon appropriée aux changements rapides de l’environnement physique, émotionnel et social.